Cr IM Roth
La tradition le veut donc je me lance à cœur perdu dans ce compte-rendu de mon deuxième Iron Man.
Commençons par l'avant : un Iron Man c'est toujours engageant, c'est bien la première fois que je prends un dossard à un an à l'avance. 40 secondes pour que les inscriptions soient épuisées, je fais partie des heureux élus. Puisque le sort en décide ainsi je m'inscris, au retour de l'étape du Tour en 2023.
Avec cet objectif en tête je termine une saison en 2023 avec du volume, sans trop de relâchement. Au moment de l'inscription je ne peux pas courir, le tendon d'Achille couine un peu trop la récidive dure depuis 3 ans. Je prends le problème à bras le corps, semelle orthopédique à la clé. Novembre 2023 je peux de nouveau courir quasiment normalement sans gêne, il faudra maintenant établir un plan bien rodé pour arriver en forme le jour J. Je me documente, je m'appuie sur l'expérience des cadors de la longue distance, j'établi mes blocs de travail en rétroplanning dans mon application.
Ma vie professionnelle et personnelle est tourmentée. Je fais face tant à mes choix qu'à des échecs, mon corps me le fait sentir. L'engagement dans ce défi physique devient un engagement psychologique: retrouver ma confiance et la confiance en la vie au travers d'entraînements exigeants, retrouver la flamme et garder le sourire quoi qu'il advienne.
De janvier à mars, je fais le job : du volume, des intensités modérées, une augmentation progressive des charges d'entraînement, balancée entre la motivation et la discipline. Jusqu'au mois de mai les sensations ne sont pas là, j'ai l'impression de revenir de très loin en vélo je n'arrive plus à avancer comme j'ai pu le faire auparavant.
C'est compliqué dans la tête, je doute de mes capacités, je lâche régulièrement des rivières de larmes accompagnées de crise de panique. Si Strava peut avoir des aspects sympas, l'exposition au monde extérieur et aux avis ne l'est pas forcément; La dérision et les commentaires sur ton d'humour pèsent. Une semaine de déplacement me permettra de me détacher de tout cela.
Une question s'impose : que veux-tu faire de cet Iron Man ? Je m'étais balancé des prédictions de course sagement calculées sur la base de mon premier que j'avais terminé en 12h43. Sur la base de la progression natation je pouvais gagner 10 minutes, sur les transitions à peu près pareil, l'objectif vélo s'il était le même qu'il y a 5 ans me convenait très bien(6h pile) et en course à pied je ne devais pas craquer sur le marathon pour espérer le faire en moins de 4 heures. Au cumul 11h30 était faisable.
Les étapes intermédiaires sont nombreuses : des sorties de 140 bornes avec une bonne moyenne, des sorties longues de course à pied sans trop de douleur, avec des séances spécifiques au seuil que j'avais plaisir à positionner le lundi et en faire profiter tout le monde
Fin mai, après deux semaines deux déplacement j'ai le dos complètement bloqué. 2 semaines au ralenti, la problématique sous-jacente cache un mal-être dans mes fonctions professionnelles: ça ne loupe pas, on met un terme à ma période d'essai pour la seconde fois d'affilée. Il n'y a pas de mystère, tout est une question de place!
Les choses se débloquent physiquement, l'avantage de la situation me permet de finir une préparation dans les meilleures conditions: et j'ai enfin des sensations !
Je suis capable de le dire de nouveau : j'ai confiance.
Les 10 jours d'approche avant l'Iron Man sont pas les plus simples à gérer, j'invoque maître castor pour éviter de réduire en miettes les mois d'entraînement, je glisse quelques mot à Steph qui me donne ses avis sur ses prépas, j'aborde sereinement l'approche du pic de forme.
Mais bordel, qu'est-ce que c'est long ces les 10 jours! Ponctués à coup de j'ai envie, j'ai pas envie, je me sens prête, est-ce que je vais vraiment être dans les bonnes conditions, on y est toujours pas, pourquoi je me suis inscrite déjà?
À 10 jours on travaille l'approche psychologique du jour de course: maîtriser ce que l'on peut maîtriser ne pas maîtriser ce que l'on ne peut pas maîtriser et lâcher prise !
Dans la maîtrise, on inclut donc l'alimentation coûte que coûte en approche et pendant la course. Dans la course, on soigne le moment où le corps va dire stop pour que le cerveau reste pilote: j'écris une dizaine de phrases clés que je prendrai en T2 comme des wild card sur la cap. Je les écris en anglais: le ravitaillement moral pourra peut-être profiter à d'autres.
Vendredi avant la course : c'est une chance, nous sommes deux avec Krys à se déplacer à roth, je vérifie quatre ou cinq fois mes affaires pour la course, j'ai même fait réviser le vélo! Il vit sa meilleure vie.
7h de route pour aller jusqu'à en Allemagne, ça passe plus vite à deux ! Tout se déroule bien on récupère le logement, le samedi on va chercher nos dossards puis poser l'après-midi le vélo au parc sous une trombe de pluie (c'est bien mieux que ce soit la veille !!!) Le parc est impressionnant, nous devons être environ 4500 à partir. J'arrive avec mon petit Lapierre tout mignon, il y a à 80 % des contre-la-montre posés autour, ma foi... C'est dans les jambes que ça se passe ! (bien que je me tâte à récupérer par inadverstance le vélo d'un autre)
Retour à l'appart, je me remémore les stats: 180 activités sportives depuis le début de l'année, 4000 km à vélo, 78 km de natation, 600 km de course à pied. Une journée comme demain c'est plié ! Les courbes de forme sont au max, j'ai hyper bien géré ma prépa.
On check avec Krys la météo normalement pas de pluie il y a un petit pic sur la courbe mais rien de significatif. On bouffe encore des pâtes, j'en peux plus de ce régime avant course à la con: je rêve d'un foie gras et d'une bonne bouteille de pinard ! On s'en fou demain à la même heure ce sera réglé.
Jour J :
4h 20 , le réveil sonne. J'ai étonnamment plutôt bien dormi et mieux que les nuits précédentes. On y est, c'est le dénouement, le jour du grand récital.
On décolle à 5h10 de l'appart, temps initialement estimé 35 minutes, temps réalisé 1h30. On arrive à 6h45 pour une deadline max pour rentrer dans le parc à 6h15 nickel on est dans les temps
Krys stresse, je relativise on est tous bloqués dans les bouchons. Technique de rationalisation de l'énergie, on va avoir en avoir besoin !
On arrive au parc on passe au-dessus de la barrière ça passe nickel, les pros sont déjà partis. Je pars dans le sas de 8h, la vague 17 plus exactement donc plutôt sur la fin des départs. Nous nous sommes longuement demandé pourquoi nous partions si tard, il semble que ce soit aléatoire de toute façon ça change rien on va y passer des heures.
Combi enfilé, je ne ressens pas d'émotion, ni de stress ni d'engouement spécifique, je suis déjà cloisonné dans la bulle auquel je me suis préparée.
Sur mon premier, je suis parti avec une musique en tête et je l'ai gardé tout le long donc la seule question que je me posais c'était laquelle j'allais avoir dans la tête pendant des heures et des heures... Ouf ! Pas de chanson paillarde !
Départ:
Les personnes de mon SAS sont déjà à l'eau moi je trottine tranquillou pour me mettre en place une minute avant le départ: pas besoin de réfléchir tout va bien. Le canon retentit, c'est parti! En natation: aller chercher loin devant, minimiser le nombre de coups de bras et caler rapidement sa respiration. En quelques mètres c'est ok. Je passe pas mal de monde c'est assez drôle ça m'était rarement arrivé auparavant! Je me félicite de la progression et de la détermination que j'ai enregistré pour sortir un 3800 m en 1h16.
Je sors de l'eau fraîche comme un gardon, la transition se fait assez rapidement les bénévoles sont là pour nous aider et ça c'est plutôt cool.
C'est parti pour le gros morceau de la journée : j'attaque un vélo sur la base des sensations physiques et surtout au cardio: entre 144 et 150 BPM. (il faut noter que chez les femmes, la période de menstruation influence la forme, par chance c'est sur la première phase d'y cycle que tombe le 7 juillet)
5 minutes après la sortie du parc une pluie vient transpercer la peau. Froide. Cinglante. Il ne faut pas si chaud dehors: 15 degrés. Ça dure 1h. Peu importe, ça fait partie des choses que l'on ne maîtrise pas, Seven Nation Army s'incruste dans la danse il va venir bercer ces 6h15 de vélo.
Premier tour reco, deuxième tour gestion. On arrive au solar berg, yes on a l'ambiance tdf ! C est chouette, c'est vrai. Cependant il faut être rationnel, sur 180 km de vélo" l'ambiance Tour de France" ne respecte pas forcément tous ses promesses, on va parler de 6 passages cool, heureusement je ne m'y étais pas attardée plus que ça !
J'attaque le 2e tour, le temps est sec la température augmente un peu. On atteint les 20 degrés max de la journée parfait !
Le froid et la pluie m'ont assez rapidement contracté les quadris de la jambe gauche, depuis le 30e kilomètre et les douleurs de la position commencent à apparaître. Peu importe Seven Nation Army est toujours avec moi et switch de temps à autres avec la musique des riverains. Je parle en anglais avec certains participants, c'est que tout va bien. Chaque seconde passée n'existe plus, savourer un plan qui se déroule sans encombre c'est le graal. Je mange tout ce que j'ai prévu, tout va bien !
Sur le vélo je n'ai regarder qu'une seule fois le cadran qui indique le nombre de kilomètres et la vitesse moyenne, si je n'avais pas le cardio sur la montre je serais partie sans. C'est ça l'instant présent.
Les derniers kilomètres à vélo commence à être long, on arrive enfin à la T2: 6h15 sur le vélo. Si je n'avais pas fait une prunie après avoir bu la moitié du canal j'aurais gagné 5 min ! (mais je me serais sûrement pi**** dessus. J'ai fait le choix du corps
)
J'arrive je file le vélo en lui disant merci mais je ne veux plus te voir, bisou.
La T2 est assez rapide incluant une pause nécessaire: c'est parti pour la grande balade !
Satanée notification de 6h15 de vélo, je ne suis pas en phase avec les projections. Je révise les calculs ça me passe 10km et les jambes sont bien !
De toute façon j'ai le sourire, les ravitos sont tous les deux kilomètres et ça c'est hyper chouette. Découpage de 42 km: 2x10/4x5 + 2 pour la gloire.
Il n'y a qu'une seule boucle de 42 km cependant il y a beaucoup de demi-tour et les 25 premiers kilomètres sont en aller-retour au bord du canal: c'est long mais la tête est autre part, les pensées se racontent des histoires et ça avance bien.
Je sors des wild card pour anticiper. Je les donne.
Au 17e kilomètre les jambes commencent à faire sentir qu'elles en ont un peu ras le bol, le mental se met en mode serrage de vis. Je croise krys et elle a bien tourné ! C'est top ! Mais mon rythme ralentit. Ça devait arriver à un moment. J'accroche un 6:05/6:20 et je m'interdit de marcher. Je le sais, si on marche, repartir devient encore plus douloureux et je veux donner le meilleur de moi. C'est moi qui décide.
30km ça bascule au centre ville, on retrouve du monde : c'est cool mais il y a des pavés, va pas falloir se casser la gueule ! Les 6 km les plus longs. Un aller retour de 10 bornes avec une montée progressive de 1km sur le 34e, j'insulte la terre entière ! "putain c'est interminable" "mais qu'ils sont cons de nous poser ça là" "c'est quand ce dernier demi tour" "ça me saoule"! (c'est pas dans mon caractère hein...
) ça dure 20min mais en tête mes wild card ,puis ENFIN ce demi tour.
Il ne reste plus que 7 km, la bascule psychologique devient plus facile : c'est tout juste deux enchaînements post vélo. C'est moins d'une heure. Ça tient, je sais que j'ai gagné. On repasse au centre, je ne m'attarde à aucun moment sur les gens qui marchent. 39e km dernier ravitos, j'ai respecté le plan nut et cardio à la perfection. Je me lance sur un segment de seuil "une seule rep d'une séance du lundi", boost a 165 bpm sur les 3 derniers kils j'en remet une et ça passe de fou ! Je suis déjà fière et j'ai déjà fini ce putain d'ironman ! Je n'ai toujours pas regardé le chrono, je regarde sans regarder les intermédiaires. 12h01' bordel! Je ne savais pas où j'en étais, j'arrive quand même à avoir un poil de frustration (n'importe quoi la gonzesse).
Je lâche une larme. J'ai géré à la perfection cette course. Je suis soulagée d'en terminer. Je suis putain de fière de moi !
Les wild card:
"be proud of you" km 8
" wou're writing a page of your story" km 18
"you belong here" km 23.
Pendant ces 12h01, j'ai évidemment pensé à beaucoup de monde, à ceux qui m'ont vu pleurer et qui m'ont rassuré, qui m'ont conseillé. Aux fidèles du lundi qui m'ont accompagné malgré eux dans ma prépa, à Rico pour qui j'ai couru plusieurs km et à sa femme qui se bat en son absence, à tous ces mots reçus de beaucoup d'entre vous. J'ai pensé à mes compères sur Thun.
Je lève mon verre à vous, les meilleurs compagnons de galère et de réalisation !
J'ai pensé à la femme que j'étais il y a 5-7-10 ans. Celle qui faisait 75kg avant de se mettre au triathlon. Celle qui fut complexées pendant longtemps de ses épaules, de son ventre, de sa poitrine. Celle qui a ramassé dans la vie quelque soit le domaine, et qui s'est toujours battue. Celle à qui on a dit bien souvent "tu n'y arriveras pas". Celle qui a fait confiance et qui est tombée. Qui s'est relevée encore.
Je suis fière d'être celle dont les émotions bouillonnent, qui aime fort et qui n'aime pas tout autant. Celle qui aime la justesse, la persévérance, la compet mais aussi la poésie, la musique et les fleurs (et qui niaise devant des chatons ). Celle qui jongle avec plus ou moins de facilité entre la pragmatique et l'intuitive. Celle qui aujourd'hui n'est plus celle d'hier et qui n'est pas non plus la Marine de demain. Et je m'en félicite. Je suis la meilleure version imparfaite de moi-même. Je suis Iron woman, pour la seconde fois en 12h01.