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 Sujet du message: CR Transpyrenees 2024
MessagePosté: Vendredi 12 Juillet 2024 7:35 
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Enregistré le: Jeudi 04 Mai 2017 21:30
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TRANSPYRENEES 2024: UNE LÉGÈRE INQUIÉTUDE

Trois jours déjà : Étonné et un peu inquiet que j’étais, devant ma San Miguel, à l’hôtel Garona (mi-parcours). Oui bon, c’était dur, mais juste dur.
Les cols du pays basque : ces péte-chaînes infâmes où pend un vieux ruban de tarmac gercé pour faire semblant qu’il y a une route. « -Arthaburu ? Pas une route ça mon gars ! Ça serait pas plutôt un oiseau des îles ou un cousin de Gandalf ?».
La pluie qui venait de cesser après 3 jours et le duvet qui macérait déjà. Les abris que j’avais repérés qu’étaient déjà bondés de cyclistes mouillés. Le 5000 de ration quotidienne. C’était dur – oui mais dur comme prévu quoi ! Pas la détresse attendue : c'était où la tragédie? Où, le sang et les larmes ? Même la musique je l’avais encore pas mise à fond. Non, c’était décidément trop simple c't'affaire. Une bête sournoise devait me guetter quelque part dans ces belles montagnes...

IKURINNAS et ABANDONS

Du départ, ça a été beau. J’ai laissé (comme si j’avais le choix) le peloton me semer dès le rivage de l’Océan. Je m’élevais seul entre les moutons, les rivières, et les drapeaux basques (ou ikurinnas) mais pour la première fois, quelques collègues me sont revenus dans les roues en 24 heures : c’est ceux qui avaient mal choisi le matériel.
Les Tropdematoss’ (balise de survie GPS, gaz, enceintes portables, tentes, rations, sacs de rando…) Hop défoncés des genoux par la pente : DNF. Mais aussi les Pasassezdematoss’ (je dors sous la pluie dans une couverture de survie, je me gèle les pieds toute la journée, j’ai rien de sec, j’ai pas fait l’entretien, j'ai ma belle cassette de rouleur.. : Hop DNF aussi : malade, rupture mentale, ou casse.
On a bien « pinché » une dernière plancha entre deux averses avant la nuit mais ils étaient déjà condamnés les pauvres.
De mon côté, je m’en fais pas, j’ai mon programme format A4 plastifié, le meilleur matériel possible, si j’accélère : je me plante ; si je décroche : je suis hors délais. Alors je mouline et je garde la veste et les pieds au sec.
Ça m’a quand même mis un coup quand je suis arrivé sous la pluie à minuit trente sur mon petit spot de bivouac trois étoiles avec toilettes, eau et banc que je m’étais repéré à moi, perso, que je le rêvais en trésor chéri déjà depuis 30 bornes d’averse. Et que – Ô Surprise ! – Et ben y avait déjà 10 gusses dedans et que par le fait, plus trop de place au sec pour moi. Mais bon, c’était le début, j’étais relativement frais, pas trop ranci encore.
A l’avant ça devait ferrailler dur, mais moi, le matin des résultats aux législatives, je repars grognon, mouillé, mais pas vraiment entamé.

LA PLUIE LE SOLEIL

Par endroit, le soleil perce et pose une tâche de lumière entre les nuées blanches. Un troupeau se chauffe sur le goudron. Un ruisseau, un pont, on replonge dans le nuage, il ne pleut pas mais on est mouillé quand même. On se regarde : « -La puta humedad ! » qu’on se dit en riant pour conjurer la tannée des couvre-chaussures et des gants mouillés. Je fais des signes aussi parfois car y a pas de français sur cette course. Il faut vraiment que j’arrête de parler mon vieil espagnol pourri ! Ça les énerve les ibères de me voir buter sur « descente », sur « sandwich ». Ils parlent anglais mieux que moi encore. Je croise d’ailleurs des mecs de YouTube qu’on entend sur les podcasts de vélo en espagnol. Leur voix en vrai c’est rigolo mais sans les sous titres, c’est dur ! Marie Blanque aussi c’est dur ! Les fringues sèchent dans des trous de soleil pendant les pizzas des boulanges.
Le soir, avec une Ellen, on se refait au faux-filet à l’hôtel de Luz Saint Sauveur avant le Tourmalet. Cette société des ultras est toujours aussi chouette (à part ces envoyés du diable qui s’octroient mes bivouacs bien sûr).

TOURMALET ASPIN & Consorts

Départ cinq heures. En altitude il fait vraiment froid dans le tintement des vaches mais le soleil vient chauffer les aiguilles de roche en un bel orange. Encore un gros fagot de cols à tronçonner aujourd'hui avant un dodo au charme suranné derrière le Portillon-frontière. La fraicheur divine de cette San Miguel dont je vous parlais plus haut, et la gentille taulière qui me cause comme Madame Malaval le faisait en classe d’espagnol de 4èmeB. Je baigne dans le beurre en m’endormant, au sec. C’est louche: ça se passe bien.

ÇA COMMENCE A CAUSER

Quatrième jour : Menté et le Portet: j’ai déjà moins le sourire. J’accuse le coup et j’en ai marre. La musique est plus forte, plus nécessaire. Il fait beau à présent mais la tempête mentale menace. Ces jours entiers à pédaler pour monter à huit à l’heure, pour tenir le cut-off, me liment un peu l’optimisme, me rendent amer. Pi j’ai perdu ma feuille. Pas de bon augure tout ça… Pour finir, un hôtelier indélicat de Tarascon me met dehors arguant que « -Booking, ils disent bien ce qu’ils veulent, j’ai plus de chambres à ce prix-là ! Faut raquer la cinq lits ! ». Je me pieute cependant confort sur les plateaux en chaumes après Souloumbrie: spot de bivouac de folie où j’étale un duvet qui cogne à présent comme mille poissonneries. Je ferme les yeux aux dernières lueurs ; Quand je les rouvre, le jour point. J’ai dormi comme un ourson.
Camp de base dans une adorable boulangerie d’Ax-les-Thermes. On m’y sert des cafés en veux-tu-en voilà, on m’y garde mes sacoches pendant que je monte à 3-Domaines en sifflotant (montée aller-retour obligatoire de la course) puis on m’accueille à la tarte aux myrtilles en me rechargeant mon battery-pack et en me remplissant mes gourdes. Sur le banc en fer, contre le mur de la place du marché, je sirote, je savoure ; la vie est douce, je contemple un joli Bergamont chocolat, son pilote trotrostylé. Je parle avec Aude la messagère à vélo, elle va finir mais elle le sait pas. Il faut repartir, le soleil est déjà haut.

NERVOUS BREAKDOWN

Les cols sont à présent considérables, ils font tous 800 tickets et viennent en meute. Il fait chaud et la végétation déserte. Des rampes larges au goudron approximatif, droites et brulantes comme des poêles. La pente irrégulière dépasse de plus en plus souvent mes limites. Après quelques heures de ce traitement, je maudis chaque véhicule qui me dépasse en faisant gueuler sa troisième vitesse, « -ils auraient mieux fait de rester à regarder Hanouna ces débiles ».
Je déteste tout. Je critique l’organisation qui nous fait passer là. «-Pailheres non mais c’est quoi ce col ? Et cette station pourrie-là, ça veut dire quoi ça ? Et voilà ça redescend un peu pourquoi ? » Je convoque l’ingénieur responsable des travaux de cette route… « -Hein j'te l'demande ? Dis-moi bien pourquoi ? Pour me transformer cette putain de moyenne à 8% en pente à 12% pendant des plombes ! Voilà pourquoi ! »
Il fait trop chaud, j’ai mal géré l’alimentation, je brûle et l’eau va finir, celle qui reste est chaude. L’ingénieur m’accompagne toujours, je lui détaille avec morgue les manquements impardonnables à son travail d’inapte. Je m’engloutis avidement d’énormes poignées de Dragolo en lui remontant les bretelles parce que j’ai plus que ça à manger. Le Snickers, je l’ai à vomir, il est fondu depuis deux siestes d’ailleurs.
La sueur et la crème solaire me coulent dans les yeux et me font pleurer. Je refais sa scolarité depuis la maternelle à cette buse. D’ailleurs c’est depuis les gommettes qu’il comprend rien à rien cet abruti. Il fallait vraiment que dans ce pays, ça soient bien des ânes bâtés pour avoir confié à une branque pareille le dessin de ce que ces caves appelleraient un jour une route !
Ça fait maintenant huit fois que je me dégomme la même piste d’Acid House à fond pour continuer à pédaler en dépit du bon sens. Mais j’y arrive pu. Et le blaireau qui me termine son chef d’œuvre par un dernier rampillon-surprise en coup de théâtre…
Pour ne pas m’arrêter en plein soleil, je craque complet. Au km 770, soudain je ne pense plus. Je suis une mécanique primitive qui hurle, qui pleure mais qui tourne encore, il n’y a plus de limite, la souffrance n’existe plus, le temps non plus. Ce basculement en mode machine est difficile à expliquer mais c’est cela, surement, que j’étais venu chercher.
Quand on y est, on a (brièvement peut-être) l’impression qu’on peut monter jusque dans les étoiles pour toujours, "no limit". Il devait arriver ce moment. J’étais enfin servi. Il faut des jours pour y arriver, il ne dure pas toujours.
Ça s’est fini comme ça, et puis j’ai chancelé jusqu’à la cahute près du sommet, où, ânonnant et tremblant, la dame elle a bien compris qu’il fallait me donner de la crêpe et des pom’potes.
Ça m’a requinqué un peu. Elle a du faire pour trente balles de snacking puis elle m’a jeté à la descente pendant qu’une brume aussi soudaine et froide qu’inattendue tombait sur le sommet.
La descente: - c’était surement pas le même ingénieur - enchanteresse, en lacets qui jouaient à cache-cache derrière les mains des nuages. Et que je te switchbaque en douceur mon petit vélo vers quelques montées plus raisonnables dont je ne me souviens plus, Enfin la station des Angles au coucher du soleil, son lac en cacahuète, son Burger du Capcir (microclimat inexplicable mais très bonnes frites). Je redors dans le dur ce soir, je suis plus en état.

THE LAST DANCE

On est partis comme si on avait course gagnée, mais tôt quand même (4h30) parce qu’on voulait pas risquer l’élimination (5 jours et 13 heures). Dans la descente sur Prades, aux aurores, il faut souvent baisser la tête pour pas se cogner les oiseaux qui déboulent hors des fourrés. « Descente, cafés-croissants, montée, sandwich, descente, café, montée, café, montée…» C’est ça la partition qui habille le mieux la Transpyrenees pour moi.
On a bien chuté en altitude, il a fallu carrément changer de vêtements. C’est là que mes collègues colombiens m’ont eu à l’usure, un peu après Palomeres. Ils gèrent super bien les dernières surprises gravel-verticales que nous avait laissées le Carlos en cadeau-bonus. J'avais le cul en feu aussi faut dire.
Après ça : l’enfer industriel et brûlant de la Jonqueira. Puis la plaine des militaires, le vent de face nous y a tous défoncé le mental mais on était proches du but. Une dernière glace (deux en fait), un dernier café (deux), un dernier coca, hop les glaçons dans les gourdes.
Et puis la dernière montée jusqu’au monastère : Une épiphanie !
Tu sais que tu vas y arriver, il te reste juste deux heures, il t’en faut qu’une… alors tu te remets à regarder autour de toi. Les colombiens, les espagnols, les anglais... ils me passent en riant, je ris aussi, on a encore une tour Eiffel à monter qu’on se félicite déjà. Jolie farandole de nos belles gapettes Cinelli. Pour un peu on se ferait des selfies qu'on est cons! Et puis la mer apparait! Aussi bleue foncée que l’Océan était clair. L’arrivée est là ! C'est fait ! On peut souffler ! Enfin ! Puis rire en redescendant sur la plage. Traiter ces inconnus en frères, en sœurs. Partager des pizzas, récolter la médaille, rire encore et raconter. « Disfrutar » Profiter comme ils disent. C'est fait. C'est fait...

#Tp24, #transpyrenees, Transiberica
1040 Km / 27 000m d+ / 132 heures

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 Sujet du message: Re: CR Transpyrenees 2024
MessagePosté: Vendredi 12 Juillet 2024 9:36 
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Enregistré le: Mardi 28 Janvier 2014 17:45
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Et bé, quel moral et quelle ténacité il t'a fallu pour arriver au bout de cette traversée mémorable. Chapeau Planplan :12sur10:

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2020: M'ENFIN!? Nice Together....


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 Sujet du message: Re: CR Transpyrenees 2024
MessagePosté: Samedi 20 Juillet 2024 11:56 
Toujours impressionnant, un vrai plaisir de te lire. De l abnégation certes,mais aussi du voyage, de la force tranquille, une restitution qui ferait presque envie ! :biggrin:
Mais non, parce qu'il faut vraiment être fort dans plein de domaines, y compris la préparation que ça demande ! pour reussir ce coup là.
Vraiment bravo


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 Sujet du message: Re: CR Transpyrenees 2024
MessagePosté: Mardi 23 Juillet 2024 17:12 
Super CR, un plaisir à lire ! Bravo pour la perf !


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