j'vais essayer, Brouette, mais ça va être dur !
- CR DEUXIEME PARTIE -
Et puis ça y est. On a pu réserver un studio à 10min à pied du départ. On arrive sur place le Samedi fin de journée. Coin couchage séparé pour les enfants, le balcon large pour les petits repas face au lac. Impecc. Tout-va-bien. Sauf la première nuit : ma poupette tousse pendant des heures, n’est pas bien, et dans notre cas c’est toujours un peu flippant : allergies ? excitation ? Ca passe un peu. Non, ça reprend. Dans le milieu de la nuit, ça se calme. Heureusement, le lendemain, elle est plutôt bien, on peut se balader, pas d’autres crises en vue. Et c’est chouette ! ça veut dire aussi un sommeil réparateur en perspective. Et en effet, tout le monde a pu se reposer correctement la nuit suivante. Partir nager à 6.00 du mat, défoncé, non, je ne m’y serai vraiment pas vu… Et puis il faut penser au retrait des dossards, où je croise Brouette, que je sens déjà dans la course, et qui se remet doucettement de ses vacances trop courtes ;-) … Allez, les pâtes, et aussi des pâtes + des pâtes le soir. J’adore, ça tombe bien. Couché exceptionnellement avant 22.00 avec espoir d’endormissement avant 23.00. Ca devait être à peu près ça.
Je me réveille avant que ça sonne, normal, les affaires sont préparées dans le hall du studio pour laisser tout le monde roupiller, gâteau sport dans la SDB, et hop. Aaarrrhhh…. je traine quand même un peu en vérité… En logeant à proximité du départ, je me mettais à l’abri de problèmes horaires… et j’en profite un peu trop. J’arrive 15 minutes avant le coup de clairon, mais c’est bien suffisant pour monter en stress… Tiens, il y déjà toute une flopée de Rillettes toute prêtes, élégamment emballées de néoprène noir luisant, prêtes à passer au bouillon. Je ne les aurai qu’aperçues. Mettre la combi, vérif des affaires pour le vélo, ne pas répéter les conneries des qqs autres tris (oubli du casque, des lunettes, chaussures pas desserrées etc). Là, il y a tout, même la crème solaire, la crème anti-frottement, les barres déjà dans les bonnes poches, la serviette pour plus tard, tout est relativement bien disposé. Mais j’ai un peu froid. Les mains se crispent un peu. Je connais bien ce phénomène étrange, mais n’ai jamais su le maitriser vraiment. Et je n’y arriverai pas non plus ce matin-ci…. Ca passe après le vrai départ, en principe. Un peu de mal à fermer la combi. Benoit m’aide. Je dois l’aider aussi, mais tout crispé que je suis, je le retarde plutôt le pauvre… P… ils sont tous au taquet, sûrs de boucler l’affaire. Je ne suis pas à ma place.
Classiquement, en tant qu’enclume des enclumes, je me positionne bien à la fin. Je verrai plus tard sur les vidéos du départ, que même en partant au milieu, j’aurai été touché-coulé. Départ de nuit, étonnant. On m’avait dit : ‘à Embrun, ils positionnent super bien les bouées tu les vois tout du long, sans problème’ je pensais même qu’elles pouvaient être éclairées. Dans la nuit, ça a du sens, non ? En vérité je ne voyais rien derrière la forêt de bras, les têtes qui se redressaient de façon aléatoire, j’essayais de ne pas trop toucher mes camarades de jeu, en essayant d’appliquer du moins pire possible les recommandations d’Isma. Le truc, c’est que des fois, on sent que ça va bien, très bien, trop bien même et on n’a pas envie d’interrompre la séquence… c’est là que je dévie méchant en général… Alors non, ce coup-ci je ferai un point navigation le plus souvent possible, et tâcherai systématiquement de me reconcentrer sur les mouvements les plus utiles, et le souffle. Les quelques répétitions en lac étaient plutôt sympas. Bon, là il faut rajouter 800m au moins, penser à ce qui suit, faire avec la nuit, tout ça tout ça… Et alors ? C’est pour ça que j’avais choisi Embrun aussi, non ?
Si.
A mi-parcours, j’essaie de regarder la montre, je pense lire 44 minutes. Ce qui me va très bien. Il faut essayer de garder ce tempo le plus longtemps possible. Avec le jour qui se lève, l’environnement se révèle lentement comme une photographie qui sort de son bain (du temps de l’argentique… c’est loin, hein…). Ca fait plaisir, quand même ! On peut même prendre des caps sur les sommets autour, plutôt qu’à chercher les bouées. Peut-être pas une si bonne idée puisqu’à partir de là j’ai dérivé un peu. C’est peut-être plus lié au coup de froid qui m’est tombé dessus. Je l’ai senti arrivé ce truc, j’ai pensé à un problème d’oxygénation, alors attention les mollets, les crampes qui pourraient survenir avant même d’avoir attaqué le vélo… Non, gère, souffle bien, respire bien. Mais non, ça m’envahit sournoisement, sûrement. Gère.
Un froid généralisé, du bout des doigts de pieds au bout de la. Nuque. Bref, tout le corps. P… je ne suis pas à 4000m, qu’est-ce que c’est qu’ces conneries !?!? C’est pareil pour tout le monde, sûrement…. Ben non, moins tu passes de temps dans l’eau, et moins tu risques de te les cailler évidemment. Mais je ne peux pas passer moins de temps. Remarque, je ne suis pas si loin d’avoir terminé cette nat, maintenant. En tous cas je n’ai jamais été aussi près. Voilà, tu ne peux pas avoir froid. Tu vas bientôt sortir, te sécher, t’habiller, partir à donf et prendre un coup de chaud. Bientôt même tu regretteras cette fraicheur quand il fera 35°, hein ! Alors profite, gars. On n’est pas bien, là, à la fraîche, décontracté du. Non. Tout contracté, même, genre hypo qui ne passe pas.
En tous cas je peux sortir en 1h33, ce que j’espérais. Juste 5% de distance en trop, une perf pour moi ! Par contre, claquements de dents et secousses aléatoires tout le long du corps. Je prends bien le temps de me changer, rien oublier, même manger un morceau, frictionner, tapoter, mais toujours à aglaglagoter. Pas grave, je sais que ça monte tout de suite à vélo, la chaudière va vite se rallumer. Dernière rillette à prendre le vélo, normal… Je m’attendais à être un peu raide pour partir mais là, avec le monde, le soleil qui pointe et tout, ça semble être moins pire que prévu. Je monte sur le vélo, pédale un coup et là, c’est tout le contraire, vraiment pas bon... Mal de jambes, pan ! Mais je suis encore sur du plat pourtant. Ca n’avait jamais été compliqué d’enchainer, tout juste « pas évident ». Mais là, chtââbaaah ! Déconne pas, il fait beau, tu as la marge escomptée pour l’Izoard, il faut que ça passe vite, ce truc. La récup de la dernière sortie était déjà bien digérée mais peut être trop. Il aurait fallu aller se faire 45min-1h, sur du plat, et pépère, 2 jours avant, ç’aurait éviter ce problème à l’allumage… Mais il n’y avait pas trop de plat par ici et de toutes manières, j’étais aussi très bien avec ma petite famille à glander par-ci par-là. C’était peut-être juste lié à ma baisse de température. Avec la première montée, au bout de quelques minutes, les degrés sont là et c’est tant mieux. Le mal de jambe se dissipe logiquement en roulant doucettement. Très bien. Cette boucle est vraiment sympa. Un échantillon, ok, mais on comprend bien la chance qu’on a à évoluer dans ce décorum, juste pour le sport, avec déjà des supporters. Et quand il faut redescendre pour prendre le pont et gagner Savignes-le-lac, c’est encore mieux. Laisse-allez, c’est une valse. On tourne et retourne un peu, mais à chaque fois, c’est un régal ! Et on n’est même pas obligé de forcer ! Et puis c’est la grande route, le pont qui a aussi son charme, surtout que ça souffle beaucoup moins qu’en Juillet où j’avais du mal à tenir mon guidon. Là c’est gérable. Un peu de bagnoles ensuite, ça fait aller un peu plus vite mine de rien, et puis hop, rond-point au-dessus de Baratier avec plein de gens sympas qui restent là à encourager même la queue du peloton.
Depuis le départ même de la natation, j’ai bien compris ce qui faisait Embrun. On peut toujours mettre en place un truc plus dingue, plus dur, plus haut, plus long, nager juste avec une paupière, et sur le dos, rouler sur un vélo, mais assis à l’envers, faire un marathon de montagne mais sur les mains. On peut. Mais pourquoi Embrun semble unique à ceux qui ont essayé ? Il y a la compèt pour ceux qui veulent (et qui peuvent !), certes, mais aussi l’esprit « sport » des organisateurs, du public, des bénévoles avec à chaque fois une attention porté sur le participant, quel qu’il soit. Genre « nous les gars et les filles du bord de la route, on sait ce que ça vaut de participer à ce genre de truc, et on fait tout pour s’éclater, et vous faire plaisir ». Partager une belle journée, en fait. Tous. Le sentiment que c’est quand même un peu exceptionnel, mais ça ne se la pète pas. Vraiment, j’adhère.
Tellement que je ne me rends même pas compte que les kilomètres défilent sur la petite route bucolique qui suit. Et puis re-grosse route mais pas longtemps et c’est parti pour les gorges, cette fois. Un peu de voitures mais tranquille Emile. J’ai l’impression de quand même rouler moins vite que pour la reco mais c’est pas plus mal, cette fois ‘faut tout s’enfiler d’un coup alors attention. Certains commencent à gérer, ils baissent un peu l’allure. Mais je dois rester sur ma vitesse, en principe ça passe pour l’Izoard. Ah ouais ? Pour l’instant, tu ne l’as pas passé alors ferme ta bouche, pédale, juste comme il faut. Ne vend pas la culotte de Madona avant de la lui avoir piquée. Doubler un peu en faisant gaffe à cette histoire de Drafting. C’est vrai que ça doit être pas mal, cette route, à moto, alors les juges et arbitres sont omniprésents. Même quand ils ne sont pas là, ils sont ici ! Est-ce que c’est pareil pour le gros du peloton ? Chemin faisant, on démarre cette montée à l’Izoard. Dans les faits, c’est une pré-montée. Histoire d’ajuster ses forces sur quelques kilomètres, et d’envisager le rythme à tenir sur la deuxième phase. Ah mais c’est là d’ailleurs, on y est ! Tout de suite, on sent que cette partie-là va durer plus longtemps… Tiens, un type avec une tenue et un équipement impeccables, essaie de rouler dans la première vraie difficulté mais de derrière déjà je l’entendais gueuler. « Aaaaarrrrhhh, p… de crampes, aaarrhhh ». Mais il avance, en insultant la mère de quelqu’un, à priori… qui ? je ne sais pas. Lui non plus sûrement, mais ça lui permet de pousser et d’avancer un peu à chaque coup de pédale. Des crampes ? déjà ? Il ne faut pas que ça m’arrive, parce que là, je jette le vélo. Tu vois le truc de ne pas arriver au col, alors que tu as juste fait 80 bornes ? Il a dû s’entrainer et tout et là, shhhtooouk. Collé sur le goudron. Sûr que ça doit foutre les boules. Sauf si c’est à cause de la super soirée de la veille. L’un compensant l’autre, le séjour aura été sauvé… Mais quand même, on est tous, chacun, dans l’espoir au moins de boucler cette affaire. Allez, décamètre par décamètre, ça avance. Correctement. Ce qu’il faut pour envisager d’amener au bout ma carcasse. Ah, ici, il y a des passages quand même bien raides, la vache… d’ailleurs certains mettent le pied à terre. Ils doivent être au bout de leur vie, c’est pas possible ??? Ils savent que ça ne fait que monter à part une ch’tite relance en descente dans plusieurs kilomètres ? Tu fais ça, tu repars comment ? droit dans la pente, pas possible puisqu’elle t’a fait t’arrêter. Pas de plat. Il faudrait se positionner dans le sens de la descente, donner qqs coups de pédales, virer à 180° et repartir en montant… Un chantier, quand tu es déjà pas bien ! Franchement, ça me semble compromis. Je me permets d’encourager ceux qui pédalent encore, mais j’ai l’impression que c’est plutôt mal pris quand je vois les visages fermés se tourner vers moi. Merde, ils prennent ça pour de la suffisance, de l’arrogance ??? ils voient bien que je ne suis pas une fusée ! Que c’est juste l’histoire de les sortir de leur torpeur en montrant qu’ils ont un compagnon de galère… Ca se fait bien dans l’ultra en général, on passe un moment ensemble, ça requinque, c’est sympa, on progresse, et on se relance. Mais là, attention, c’est du triathlon, garçon ! On ne rigole pas ! Et il faut que je fasse gaffe à ce drafting, de toutes manières. Même à 8k/h je suis pénalisable. Heureusement, à l’approche du col, je retrouve des concurrents plus détendus, plus enclins à l’échange. Oh, on ne disserte pas, mais ça fait plaisir. Ben ouais, on est là, pépère sous le soleil, dans cette splendeur minérale, c’est pas pour se faire la gueule comme dans un métro aux heures de pointes, non ? en plus, bientôt c’est la pause déjeuner ! Ca va être super. Pas de ravito perso : dans le meilleur des cas, je me voyais avec 30 minutes de rab sur les barrières horaires, alors le temps de chercher, avec le break physiologique, se détendre les doigts de pieds, et tout, non, je me contenterai de ce qu’il y a.
Aaaahh, la petite redescente avant les ultimes efforts sur l’Izoard. Ca fait du bien, c’est agréable, mais ça ne dure pas longtemps… ça remonte… Plus de monde dans les virages que pour la reco, et surtout nettement moins de bagnoles et de motos qui se faisaient des chronos de bourrins. Tout à coup, tout plein de vélos à l’arrêt. J’y suis, au col ! On se sent moins seul ! On est nombreux finalement à être sur cette allure alors ! Presque. J’entends que certains ont fait un vrai break, bien long, bien mangé, et qu’ils vont descendre à fond les manettes comme ils adorent…. Et de fait, j’arrive, quand plein d’autres repartent. Timing plus serré que ce que je pensais sur les barrières, mais ça va le faire. Un truc que j’ai bien intégré au fil de mes expériences sur les efforts très longs : régularité dans l’activité physique, tout le temps le mouvement même en s’alimentant, sauf à être cramé de chez cramé. Depuis 6h ce matin je suis ces préceptes. Et si un Bruno Heubi est sur cette longueur d’ondes, c’est que c'est testé et approuvé pour tous les niveaux. Mais c’est curieux comme la notion du temps peut varier pour un même individu selon ses états de forme… Avant que le réveil sonne, j’étais debout ce matin comme si une horloge interne était programmée. Ici, le temps de descendre du vélo, manger 2 cahuètes pour faire passer l’acidité de cette boisson iso pêche-je-ne-sais-quoi, refaire le plein d’eau, barres, gels et vlllaaaaan ! 10 minutes dans la tronche ! Là il faut vraiment pas trainer et redescendre.
Avec le vélo, j’ai redécouvert mon corps, non ce n’est pas sale… : sur toutes les sorties de plus de 3h30 ou de 100 bornes, systématiquement, 2 doigts du pied droit prennent feu. Lentement mais sûrement. Ca chauffe, brûle, et se consume à en être vraiment insupportable. Chaleur, frottement ? un peu tout essayé et même pris des nouvelles pompes blanches pour dire de limiter un max la chaleur, mais non, rien n’y fait. Ce serait un problème de circulation. Peut-être lié à une sale nuit en montagne, jadis, et aux gelures consécutives. Une gêne par temps froid ou en courant mais alors sur le vélo… c’est un truc de malade. En posant le pied nu sur le sol, ça passe en principe. En bougeant un peu, c’est encore mieux, en 5 minutes la douleur diminue nettement. Ca revient par la suite et il faut recommencer. Pas le top quand on en est à regarder sa montre pour éviter de coincer dans les barrières horaires… Heureusement, dans la dernière sortie, j’ai trouvé un compromis : tout en roulant, crisper les orteils et relâcher, comme pour gripper la semelle intérieure. C’est infernal pendant 30 secondes et petit à petit ça redevient supportable. Le seul truc, c’est qu’il faut répéter et répéter le mouvement jusqu’à poser le vélo. Et le but, c’est de ne le poser QUE dans le parc à vélo. Pas avant, non. Franchement, tout va, là, alors juste : descend.
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