Un message d'espoir :
Aux Nations unies, Adolf Ogi veut promouvoir le sport et ses vertus éducativesLE MONDE | 01.04.06 | 15h01 • Mis à jour le 01.04.06 | 15h01
KANDERSTEG (SUISSE) ENVOYÉ SPÉCIAL
Adolf Ogi a un bureau à New York, un autre à Genève, un troisième à Berne. Mais c'est à Kandersteg, dans l'Oberland bernois, qu'il préfère recevoir. C'est là, dans ce village où il a grandi, qu'il aime raconter son histoire, son destin de fils d'un guide de haute montagne, devenu ministre puis deux fois président de la Confédération helvétique (en 1993 et 2000). Et enfin, depuis 2001, conseiller spécial du secrétaire général des Nations unies pour le sport au service du développement et de la paix : une mission honorifique qui a permis la création d'une "Année internationale du sport et de l'éducation physique", qui s'achève lundi 3 avril.
C'est là, à l'ombre de la barre rocheuse des Blüemlisalp, qu'Adolf Ogi a accueilli Kofi Annan, un jour d'août 2000. Les deux hommes s'étaient rencontrés quelques mois plus tôt, lors d'une visite en Suisse du secrétaire général des Nations unies. M. Ogi, alors ministre des transports, avait offert à son prestigieux visiteur un simple cristal de sa région.
Quand ils se sont revus, M. Annan l'avait toujours sur lui. "Il a voulu aller marcher avec moi", raconte Adolf Ogi, qui en a profité pour éclairer son hôte sur "la culture de montagne, l'histoire de la Suisse, de Kandersteg, de (son) père". Et sur son amour du sport : dans les années 1970-1980, il a été directeur technique de la Fédération suisse de ski et très impliqué dans la fédération internationale.
"Aujourd'hui, le sport n'est pas accepté comme quelque chose qui porte des valeurs positives, regrette M. Ogi, 64 ans. Il est souvent associé à l'argent, au dopage et au travail des enfants. Mais moi, je dis que c'est la meilleure école de la vie. Il faut donner un ballon aux enfants, leur apprendre à jouer en équipe, à perdre avec cette équipe, à accepter les règles du jeu, les décisions de l'arbitre, le fair play."
Ce discours a apparemment séduit le secrétaire général des Nations unies. En février 2001, Kofi Annan a appelé son ami suisse pour lui proposer d'être son secrétaire général adjoint et son conseiller spécial pour le sport au service du développement et de la paix. Montant du contrat : un dollar par an. "La mission qui m'a été confiée était de persuader les agences des Nations unies de mettre du sport dans leurs activités", explique M. Ogi. En novembre 2003, l'Assemblée générale de l'ONU a adopté une résolution désignant notamment "le sport comme outil pour la santé, l'éducation, le développement culturel et social". "En moins d'un an, il m'a fallu persuader 191 pays, les plus réticents étant les Européens", raconte M. Ogi.
"Beaucoup de petits projets très importants" ont vu le jour, affirme-t-il. Grâce à l'initiative de sportifs renommés, tel le joueur de tennis suisse Roger Federer, qui a créé une fondation en Afrique du Sud. Ou à des associations, comme celles qui ont permis "de lancer des écoles de football où les enfants palestiniens et israéliens jouent ensemble". M. Ogi veut voir plus loin que ces micro-actions : "On veut agir sur la jeunesse, se concentrer sur la nouvelle génération, qui respectera cette école de la vie, qui sait respecter l'adversaire. Il faut semer maintenant pour récolter dans trente ans."
Il est évidemment trop tôt pour envisager la portée de ce discours. Mais déjà la reconnaissance arrive. Celle de Kofi Annan, bien sûr, qui, de passage à Lausanne, au siège du Comité international olympique, fin janvier, a rendu une sorte d'hommage à son complice suisse en invitant le CIO, à "encourager les jeunes à faire du sport", et à "favoriser les communautés en conflit à se rencontrer sur des terrains de sport".
Des faits témoignent aussi de l'utilité de la "diplomatie du sport". En 2005, les joueurs de cricket pakistanais et indiens se sont rencontrés deux fois : à Chennai, le public indien a réservé une ovation aux Pakistanais, vainqueurs de la rencontre. A Karachi, les supporteurs pakistanais ont applaudi avec ferveur la victoire indienne. Dans les tribunes d'honneur, le président Pervez Musharraf et le premier ministre Manmohan Singh se sont parlés - notamment de la paix nécessaire au Cachemire. "C'est nous qui avons fait ça, pas l'économie, la politique ou la science, mais le sport", se félicite M. Ogi.
Après ce succès de la "cricket diplomacy", il caresse un autre projet : faire en sorte que les deux Corées présentent une seule équipe pour les Jeux olympiques de Pékin, en 2008.
Eric Collier
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