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Nouveaux doutes sur Lance Armstrong
LE MONDE | 18.10.06 | 16h19 • Mis à jour le 18.10.06 | 16h19
Le grand déballage n'aura pas lieu. Lance Armstrong a abandonné les poursuites judiciaires engagées pour diffamation à l'encontre de Pierre Ballester et David Walsh et de leur éditeur (La Martinière), qui a publié L. A. confidentiel, les secrets de Lance Armstrong, un livre-enquête paru en France en juin 2004.
Le coureur américain a annoncé, lors du Tour de France 2006, qu'il s'estimait blanchi de toute accusation de dopage par un rapport commandité par l'Union cycliste internationale (UCI). "Nous n'utilisons pas de produits dopants et nous poursuivrons tous ceux qui disent le contraire", avait menacé le Texan, en 2004, après avoir tenté d'empêcher la publication du livre, qui s'est vendu à 65 000 exemplaires mais n'a pas paru aux Etats-Unis. "M. Armstrong a manifestement craint les trois jours de procès et les dizaines de témoins cités", commente Thibault de Montbrial, l'avocat des auteurs et de leur éditeur.
Pas de procès donc (initialement prévu les 3, 5 et 6 octobre), mais L. A. officiel - une suite à L. A. confidentiel -, qui paraît en France jeudi 19 octobre. Ce second ouvrage révèle les stratégies mises en oeuvre par le "clan" Armstrong pour préserver intacte la "légende" : le come-back gagnant d'un miraculé du cancer.
Il se nourrit surtout des témoignages sous serment déposés dans le cadre d'une procédure judiciaire ayant opposé Lance Armstrong à son ancien assureur SCA Promotions. Moyennant une police de 400 000 dollars, l'assureur texan s'était engagé, en 2001, à verser 9,5 millions de dollars de primes au coureur s'il remportait les Tours 2001, 2002, 2003 et 2004.
Après la publication de L. A. confidentiel, SCA bloqua les 5 millions de dollars qu'elle devait encore au coureur et mena sa propre enquête - détectives privés en renfort - pour vérifier la véracité des accusations de dopage contenues dans le livre.
Pour récupérer les 5 millions de dollars, Lance Armstrong lança alors une procédure d'arbitrage à l'encontre de SCA devant un tribunal de Dallas. Le président du jury d'arbitrage, William Faulkner, a donné raison au coureur, fin février, estimant que les Tours remportés par Armstrong n'avaient pas été remis en cause par les institutions sportives.
Le règlement du litige comporte une clause de confidentialité. Mais L. A. officiel publie l'essentiel des procès-verbaux issus de la procédure. Ainsi celui de Betsy Andreu, la femme de Frankie Andreu, 39 ans, ex-ami et ancien équipier de Lance Armstrong à l'US Postal. Elle avait indiqué aux auteurs de L. A. confidentiel, puis sous serment, avoir été témoin, en octobre 1996, à l'hôpital universitaire d'Indianapolis où il venait d'être opéré d'un cancer du testicule métastasé, de l'aveu par le coureur de sa consommation de produits dopants : EPO, hormones de croissance, testostérone, stéroïdes et autres corticoïdes (Le Monde du 24 juin).
Lance Armstrong a démenti avoir fait un tel aveu. Dans un témoignage sous serment déposé le 25 octobre 2005, Frankie Andreu raconte comment Bill Stapleton, l'agent et avocat de Lance Armstrong, et un de ses collègues, Bart Knaggs, ont essayé de faire pression sur lui pour qu'il obtienne de sa femme qu'elle nie, dans une déclaration publique, être l'une des sources de L. A. officiel afin d'en décrédibiliser le contenu.
La scène se passe sur un parking près de Namur, en Belgique, au troisième jour du Tour de France 2004 et a été enregistrée par Frankie Andreu. "La question, c'est... si elle est prête à affirmer clairement qu'elle ne lui a rien donné (à David Walsh) au sujet de la chambre d'hôpital, c'est très important car ça veut dire qu'il ment (...). Et si elle est prête à déclarer que jamais elle ne témoignera contre Lance, là encore, ça fait de lui un menteur", explique l'avocat de Lance Armstrong.
"Je sais que Betsy n'aime pas vraiment Lance, ajoute Bill Stapleton, mais c'est dans notre intérêt à tous que tout ceci n'explose pas (...). Parce que l'autre possibilité c'est la guerre à mort dans un tribunal français, avec tout le monde appelé à la barre. Et ça, ça pourrait foutre en l'air le cyclisme tout entier."
"Mais le truc, c'est que, putain, ça fait un moment que je protège Lance, se défend Frankie Andreu. A chaque interview, je dis les mêmes foutues banalités, je dis tout ce qu'il faut : que je l'aime bien, et tout ça." Quelques mois après son témoignage dans l'affaire SCA, Frankie Andreu a été licencié par l'équipe américaine Toyota United, dont il était codirecteur sportif. Le 12 septembre, il s'est enfin risqué à briser le silence en déclarant au New York Times qu'il avait lui-même pris de l'EPO, en 1999, pour préparer le premier Tour victorieux du Texan, mais sans incriminer directement son ancien leader.
Un autre cycliste américain, Greg LeMond - qui a exprimé ses doutes sur Lance Armstrong dans L. A. confidentiel et Le Monde (16 juillet 2004) -, s'est plaint de pressions dans le cadre de l'affaire SCA. Dès juillet 2001, le triple vainqueur du Tour (1986, 1989 et 1990) avait critiqué dans le Sunday Times la collaboration de son compatriote avec le sulfureux médecin italien Michele Ferrari.
Greg LeMond raconte qu'après la publication de cet article plusieurs hommes d'affaires impliqués dans le cyclisme aux Etats-Unis l'avaient appelé pour le mettre en garde. C'est le cas de John Burke, le propriétaire de Trek, alors sponsor de l'équipe US Postal et distributeur de la société de cycles de Greg LeMond. "Il m'a dit que, si je ne faisais pas une rétractation, tout mon business serait menacé et qu'ils annuleraient sans doute mon contrat avec Trek", a expliqué l'ancien coureur.
En août 2001, était parue dans USA Today une déclaration attribuée à Greg LeMond : "Je regrette que certaines de mes remarques aient semblé remettre en cause l'intégrité des performances de Lance. Pour moi, Lance Armstrong est un grand champion et je ne crois, en aucun cas, qu'il ait jamais pris de produits dopants. Ses performances sont le résultat du même travail dur et appliqué qui a été le mien pendant dix ans." Selon Greg LeMond, elle avait été rédigée par Bill Stapleton.
Stéphane Mandard
Article paru dans l'édition du 19.10.06