Hawaii : les Français n'ont pas le niveau ?
C'est par un titre résolument grave que j'ai voulu débuter cet article concernant les français à Hawaii. Pourquoi les tricolores ne réussissent-ils pas à Kona, alors que leur préparation est de plus en plus pointue… Début de réponse
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Roland Beaubois »
http://www.ironmanlive.com » Uwe Gramann »
date de publication : 2005-10-19
Pourquoi les Français ne réussissent-ils pas à Hawaii ? La question est posée et suscite un réel engouement dans bon nombre de conversations se rapportant au grand événement annuel sur Big Island.
Sans que les excellentes performances des groupes d'âge ne soient oubliées, cet article se penche sur les élites tricolores qui ont une nouvelle fois fait parler d'elles… avant le 15 octobre !
Revenons donc un peu en arrière, et apercevons-nous que finalement nos français réussissent assez bien dans leurs phases de qualification à la grande messe Hawaiienne…
En 2005 :
François Chabaud : Second à l'Ironman UK
Patrick Vernay : Premier de l'Ironman Corée
Xavier Le Floch : Troisième de l'Ironman South Africa
Gilles Reboul : Quatrième de l'Ironman South Africa
Gaël Mainard : Quatrième de l'Ironman Nouvelle-Zélande
Christophe Bastie : Huitième de l'Ironman Arizona
Hervé Faure : Vainqueur de l'Ironman France Nice
Cyrille Neveu : Second de l'Ironman South Africa
René Rovéra : Vainqueur en 2004 de l'Ironman Lanzarote
Les années précédentes avaient vu les français se comporter de mieux en mieux à Hawaii, mais, malgré des coups d'éclat, aucun de nos athlètes n'a jamais réussi à rentrer dans le top 5 de la grande finale, et à fortiori a envisager le podium. Les meilleures performances des français à Kona sont en soi intéressantes, mais à en constater ces chiffres, on peut dire qu'on reste sur notre faim :
• Yves Cordier 8ème en 1989
• René Rovéra 14ème en 1996 et 13ème en 1997
• René Rovéra encore 7ème en 1998
• Christophe Buquet 9ème en 1999
• François Chabaud 6ème en 2002
• Xavier Le Floch 14ème en 2003
• René Rovéra 9ème en 2004
Cette année seul Patrick Vernay fait mieux que l'an passé (il termine 15ème en 2004) en terminant premier français en… 12ème position.
René Rovéra qu'on avait connu dans de bien meilleures positions termine 210ème à 1h15 du premier (mais il termine me direz-vous), François Chabaud abandonne pour la seconde année consécutive pendant le marathon, Gilles Reboul termine 46ème (19ème l'an passé), Cyrille Neveu 63ème (24ème en 2004), Gaël Mainard 55ème (39ème l'an dernier), Christophe Bastie 93ème (48ème en 2004), Hervé Faure 22ème n'avait pas participé l'an passé malgré sa qualif, et Xavier Le Floch fait 17ème après son abandon de l'an passé…
Ce constat fait assez mal, mais ce ne sont que des chiffres…
Pourquoi tirer sur l'ambulance, pourquoi ne pas laisser nos champions évoluer correctement au sein de l'élite du triathlon long mondial, afin de parfaire leur expérience ?
Cette expérience justement, qui semble tant leur manquer est pourtant, semble-t-il, un acquis, et ne devrait plus être la raison de leur manque de réussite. Nos athlètes prouvent sur les compétitions internationales qu'ils sont au moins aussi performants que certains athlètes étrangers, même si certaines comparaisons ne seront pas faites dans ce présent article…
Alors que leur manque-t-il ?
Prenons pour exemple les athlètes cités ci-dessus, non pas en fonction de leur performance à Kona cette année, mais plutôt de leur préparation à l'événement, quelques mois avant la date fatidique.
Gilles Reboul et Cyrille Neveu ont tous deux participé à Embrun. Chacun s'accorde à dire qu'il s'agit d'une erreur en vue d'Hawaii, la récupération n'étant pas suffisante. De plus ils ont couru l'Half-Ironman Monaco le 9 septembre, soit un peu plus d'un mois avant Hawaii. Beke aussi bien sûr, mais après sa suspension la donne était différente (il cherchait la qualif à tout prix), et il n'avait pas couru de l'année avant.
Gaël Mainard a également couru à Monaco, comme Hervé Faure, Xavier Le Floch et… René Rovéra qui termine déjà loin à l'époque, à 20 minutes de Beke. Dommage car il est une valeur sûre depuis pas mal d'années à Hawaii.
Les plus "frais" étaient donc Patrick Vernay et François Chabaud qui avaient assuré leur qualification, tard dans l'année soit, mais qui depuis avaient pu se rassurer et préparer correctement l'événement. Ils n'avaient pas accumulé les courses.
Notre chance reposait pour la troisième année consécutive, à la fin des 180km vélo, sur les épaules de l'Aixois Chabaud.
D'où ma question : pourquoi d'autres tricolores ne sont-ils pas capables de suivre le rythme de François, ou au moins poser le vélo avec un retard calculé comme l'ont fait Brown ou Beke cette année ? Est-ce tout simplement qu'ils ne s'attendent à aucun moment à se retrouver en position favorable pour bien figurer ? Ou ne le peuvent-ils pas, tout naturellement ?
Le retard que nous avons pris sur la culture du long, qu'on les allemands par exemple, sera difficile à combler parce que de nouvelles têtes d'affiche étrangères prennent le relais de leurs aînés chaque année, et peu de français leur emboîtent le pas. Notre culture fédérale ne semble pas être à la hauteur des ambitions de nos coureurs, ce qui freine notre progression vers le très, très haut niveau.
J'ai demandé à certaines personnalités du triathlon de me donner leur analyse personnelle des performances des français. Olivier Bachet, speaker officiel FFtri et Yves Cordier, ont répondu très sincèrement à ma demande :
Olivier Bachet : "On est Champion du Monde par équipe mais rien de "magique" car là où tous les cadors du long se retrouvent, c'est à Hawaii " :
"Je ne me considère pas comme un spécialiste du long, encore moins du circuit Ironman et Hawaii… Néanmoins, on assiste tous les ans au même refrain d'un tel ou un tel que l'on attend comme le "french messie", qui, enfin, donnera un peu plus d'assise au triathlon français avec un "résultat" dans le top 5 ou pourquoi pas un podium à Kona.
En fait, je crois que la boxe et le triathlon sont les 2 seules disciplines à proposer un "circuit pro" plus difficile et relevé que le circuit fédéral… Là encore, le problème est l'argent… Résultat, on est Champion du Monde par équipe (officieusement, car cela n'existe plus), on rapporte assez fréquemment des médailles de Sater, Frédéricia ou autres… mais rien de "magique" car là où tous les cadors du long se retrouvent, c'est à Hawaii !
Pourquoi ? Il fut un temps où je croyais à la malchance… Mais j'avoue ne pas l'expliquer vraiment encore aujourd'hui, si ce n'est que nous n'avons pas encore le niveau, tout simplement, pour nous illustrer… Certes, les conditions sont spécifiques, les parcours aussi… mais nous avons quand même des athlètes qui s'y préparent très bien, en y allant même à plusieurs reprises dans l'année… donc ce n'est pas une bonne excuse.
Et puis, si une fois, comme il y a quelques jours, on avait un garçon de la trempe de Chabaud, qui essaye, tente, et pour qui ça passe… Car si François, samedi dernier, avait le 3ème en point de mire après déjà quelques kilomètres pédestres, et qu'il l'avait mangé… ? Qu'aurions-nous pu dire aujourd'hui ? La malédiction hawaïenne ne serait plus ! Mais elle est encore là, et il faut bien le reconnaître, Hawaii ne veut pas nous sourire pour l'instant.
Alors, vivement 2006 "!
Yves Cordier : " je pense qu’Hawaii demande une préparation extrême en ce qui concerne la concentration et le mental"
"Voici mon avis sur les performances des français à Hawaii, mais je précise que s’il est facile de dire les choses il est plus dur de les réaliser !
Je ne souhaite en aucun cas porter un discrédit au mérite de nos français qui sont de véritables athlètes de haut niveau.
C’est donc avec le regard de l’ancien athlète que j’ai fait les analyses suivantes:
- Tout d’abord il est important de rappeler que l’Ironman représente une culture et une distance arrivées en France depuis peu, contrairement à certains pays et notamment à l’Allemagne où c’est vraiment une institution et une façon de vivre et d’aborder le triathlon. Pendant de nombreuses années, Nice a été notre distance de référence (Embrun étant à part pour sa très grande difficulté) et il y a une énorme différence entre l’ancien Nice et un Ironman. Malheureusement, la baisse du niveau international du Triathlon de Nice nous a fait perdre de vue la réalité mondiale… en effet, l’élite internationale du longue distance avait déjà orienté sa carrière vers les Ironman à travers le monde. Si je peux comparer, en courte distance, les épreuves de Coupe du Monde offrent une vision réelle aux athlètes de l’équipe de France pour préparer le Championnat du Monde de la distance ce qui est totalement différent sur le long.
- Ensuite, Hawaii est vraiment une course particulière, pour le climat, le vent, le profil, le décalage horaire et nous n’avons pas encore suffisamment l’habitude de ce type de contraintes.
- D’autre part, je pense que nous avons encore une approche trop approximative de la programmation d’une telle course dans un calendrier. Pour certains, trop de courses, trop de longues distances ou d’Ironman, des qualifications trop proches d’Hawaii pour d’autres, Embrun non compatible, le calendrier des clubs, une saison trop longue, un manque de repos en hiver, tout ceci ne nous permet pas de pouvoir performer sur une course comme Hawaii.
Pour être encore plus précis je pense qu’Hawaii demande une préparation extrême en ce qui concerne la concentration et le mental afin d’arriver dans les meilleures conditions. Hawaii ne doit pas représenter la course de fin de saison. La préparation d’un tel événement et surtout si l’on en fait son objectif, doit être optimale et on doit quasiment miser sa saison et son calendrier par rapport à cette préparation. Il faut réellement tomber amoureux de cette course et l’avoir en soi tout au long de l’année.
- Le parcours vélo demande une spécialisation tant sur le plan technique que sur le plan entraînement. Il est plus difficile de travailler pour 180 km de plat que pour 180 km vallonnés ou montagneux. Faisant référence à mon expérience personnelle, en 1989 j’avais utilisé un vélo plongeant et travaillé spécifiquement le plat sur des sorties très longues toute l’année. J’ai d’ailleurs remarqué que les triathlètes n’utilisaient pas à longueur d’année le guidon de triathlon, ce qui selon moi, est une erreur.
- Je suis convaincu que, depuis longtemps, le niveau international sur la longue distance est vraiment élevé. Nous avons du retard dans cette prise de conscience et il faudra un peu de temps pour revenir à la hauteur de certaines nations notamment à cause de tous les paramètres dont j’ai parlé plus haut. Nous ne pourrons revenir au niveau que lorsqu’on prend en compte l’ensemble de la situation. Selon moi, René Rovéra a quasiment toujours considéré cet objectif avec la meilleure approche.
Par contre nous ne devons pas nous dire ‘’on a le temps !’’ J’avais 25 ans quand j’ai réalisé 8h39’ à Hawaii. On peut se donner les moyens de réussir relativement jeune et pas forcément attendre d’avoir 30 ans pour réaliser de grandes performances sur le longue distance.
Voici donc mon analyse pour chaque athlète pro français, ne perdez pas de vue que ce n’est qu’un avis consultatif, sur leur course à Hawaii ou l’ensemble de leur saison.
- Patrick Vernay : Il a réalisé une très bonne performance. Cependant il serait souhaitable qu’il se qualifie plus tôt que fin août et qu’il mette encore l’accent sur le vélo afin de tenir la tête de course plus longtemps. Son éloignement de la France et de toutes ses sollicitations l’a certainement aidé à réaliser cette bonne performance.
- Xavier Le Floch : Il réalise une belle saison malgré un début d’année contrarié par une blessure, il devra, c’est certain, travailler son vélo.
- Hervé Faure : Il a réalisé une saison parfaite sur la programmation et la répartition des courses mais, on le savait, il doit travailler spécifiquement le plat en vélo. Il a su depuis 3 ans monter en grade et il est très pro. C’est une valeur sûre pour demain.
- Gilles Reboul est depuis longtemps en haut de l’affiche. Il se place désormais plus en fin de carrière (tout est relatif !) et il était honnête sur ses prétentions à Hawaii. Il a personnellement choisi de courir sur beaucoup d’épreuves et assume parfaitement ses choix. Il a brillé en Afrique du Sud, à Nice, Embrun, Monaco, et a réalisé une belle saison. A Hawaii, il a joué le jeu, est parti avec le groupe, a fait sa course, a tout tenté mais son manque de fraîcheur lui a fait défaut. Bravo ! Et même si il ne représente pas la génération du futur, il est une valeur stable qui semble se connaître parfaitement.
- Gaël Mainard : Il devrait être plus rigoureux sur sa programmation et définir plus sérieusement ses objectifs. Il a, selon moi, un grand potentiel mais il doit travailler et faire le métier sans obligatoirement répondre à toutes les sollicitations extérieures. Il a besoin de plus de détermination pour franchir le palier.
- Cyrille Neveu : C’est un grand professionnel mais j’avoue avoir du mal à comprendre l’articulation de sa saison. Il a enchaîné les courses, les déplacements, les stages et depuis Roth, qui selon moi n’est pas une course pour lui (du moins pour le moment), il a enchaîné les difficultés. Je pense qu’il n’aurait pas dû s’engager sur Embrun à peine remis de sa course de Roth et surtout (même si ce n’est pas un conseil à donner à tous les triathlètes !!) il aurait dû abandonner quand il s’est retrouvé en situation difficile. Monaco, je ne l’aurais évidemment pas fait 3 semaines après Embrun et j’aurais sans doute annulé ma participation à Hawaii et fais un gros break pour redonner un boost à ma carrière. Il devrait travailler le plat spécifiquement et peut-être abandonner la montée de l’Alpe trop souvent qui use certainement tout au long de la saison. A sa place, je serais plus exigeant vis-à-vis des sollicitations extérieures, en mettant toujours au premier plan ma carrière sportive.
- François Chabaud : C’est sans doute celui qui est le mieux armé pour le moment. Il possède un excellent vélo il a déjà couru vite à Hawaii (cf. sa 6ème place en 2002) mais il traverse une période difficile après de nombreux abandons. Il doit travailler son mental et se mettre moins de pression. Il est très professionnel. S’il réussit à résoudre ce passage difficile, il est encore pour moi une valeur sûre. A noter qu’il a réussi une belle performance en Angleterre.
- Charly Loisel : Il a réussi à faire son choix. Il évoluera l’an prochain dans de bonnes conditions avec son club de Poissy qui a pris conscience de son gros potentiel sur le long. Il lui reste à concrétiser tous les progrès qu’il a réalisés à pied, sur un Ironman pour espérer rentrer parmi les meilleurs. Il a montré sur la distance intermédiaire, qu’il en est capable.
- Christophe Bastie : C’est un athlète qui a su s’organiser pour aller chercher de bons résultats. Il a connu une grande malchance sur Hawaii pour une grosse bêtise, ce qui montre que l’on doit pas tenter n’importe quoi et bien mesurer chaque chose, surtout sur une telle épreuve !
- René Rovéra est le plus expérimenté et le plus confirmé. Il aborde parfaitement sa saison et programme bien ses objectifs mais il peut encore s’améliorer sur des courses durant la saison, ce qui lui permettrait de franchir un nouveau palier. C’est un ‘warrior’ … il a réellement le profil de l’athlète Ironman."