Dimanche 15 Août, 1h du mat.
Depuis plusieurs jours la montre annonce pic de forme. Je fais tellement rien que des nouvelles douleurs apparaissent mais elles ne m'inquiètent pas. Après 8 mois de préparation, je suis dans la forme de ma vie. Le vélo tourne comme une montre et brille comme un sou neuf. Le réveil sonnera dans quelques heures, je me rendors avec le sentiment du devoir accompli.
6h.
La nat. Il s'agit de ne pas laisser de cartouches. Je retrouve navré le mix de triathletes polis qui savent nager et la minorité active des autres qui savent surtout très bien faire chier.
Il ne faut pas boire l'eau d'Embrun, elle a une "odeur" par endroit et je veille à bien souffler. Les maux de ventre y sont très communs. Ça déroule sur un filet de gaz, il s'agit surtout d'une balneorelaxation avant les hostilités.
7h15.
Grosse T1 de 8 minutes. Je me change intégralement. puis Action.
J'ai prévu de tout faire au capteur de puissance. Alors je respecte en rajoutant une petite louche pour être tranquille. Pendant des semaines j'ai joué avec Bestbikesplit pour faire le plan sans repérer. C'est une erreur, il vaut mieux repérer. Avec ce vent de face, la louche permet de respecter le plan de course. Tout le monde monte fort (je me fais dépasser constamment )puis arrête de pédaler en descente (je dépasse par brassées ). Ma devise pour le vélo c'est "ne pas traîner " pas forcément se défoncer, mais ne pas perdre de temps. Et manger manger manger boire boire boire.
A Guilestre, le capteur de puissance déconne puis me lache. Je sais pas pourquoi. L'isoard écrasé par le soleil est saignant. Je me raidis mais essaie de rester détendu des bras et du cou car si je choppe mal à la tête sous ce cagnard,je ne pourrais pas courir et ce sera fini. Ça abandonne grave, les mecs sont effondrés sur le guidon, la tête qui pend sur la roue, tentant de reprendre haleine, en plein soleil. Mes jambes sont bizarres. Les derniers lacets enfin, Sac ravito dévoré, Recup10, Gourdes, Go! A la descente je double les voitures, les vélos, cela requiert des accélérations en sortie de virage pour faire propre. Le frottement soyeux du pneu sur l'angle contre le bel enrobé chaud. Woosh... Les pompiers ont tendu une bâche blanche, un vélo est en trois morceaux... je repense à Yves Montand dans Grand Prix. Mais leve quand-même un peu le pied. Ça défile. Soudain : incroyable ! Je crampe, à des muscles inconnus ! Là c'est mal barré, avec tout ce qui reste, le spectre du DNF jette son ombre sur la route. Ouille ! Ce qui me sauve c'est tous les ultratalks que j'ai écouté durant ma préparation. Les gens expliquent qu'ils continuent même dans la nuit, même sans lumière, même dans le froid, Même à vif, même sans roue même au milieu des ours.... Alors c'est pas une crampounette qui va arrêter le Planplan dans cette descente! Il ya pire comme endroit. Je declipse et finis la descente sur Briancon avec une jambe tendue en travers de la route. Ça repedale doucement et ces nouveaux muscles répondent. On tombe sur le plat et l'autre jambe menace tout pareil. Intérieurement je fulmine. J'ai plus de watts au compteur, il me manque une jambe, il me reste plus que ce putain de vent qui a tourné pleine face bien sûr. Il faut se calmer. Sur zwift, j'ai appris que le lactique s'evacue le plus rapidement aux alentours de 80 % de la FTP. Je pedaloune doucement et ça revient mais la menace restera palpable jusqu'au bout. Il reste tellement et il fait 40°C.
Se méfier des indications des spectateurs : " au rocher ça bascule!"," Dernière ligne droite et tu changes les chaussures!" ils ne savent pas de quoi ils parlent et survendent ou surevaluent lourdement les difficultés. Dans la côte du Pallon, on décède du cerveau. Les bouteilles des ravitos sont chaudes beurrk mais les bénévoles sont géniaux. Ces crampes me limitent automatiquement et regulent la puissance mieux que Garmin. Par contre les temps limites se rapprochent dangereusement. Et le Chalvet me finit bien: le lotissement le plus détesté des triathletes. Sur du long, à la fin du vélo, le cul, le dos sont contents de pouvoir se détendre bientôt. Mais ma descente sur Embrun est morose, je ne crois pas un instant, vu mon état, enchaîner un quelconque marathon car le plus que j'ai couru sec et reposé c'est 26 km...
16h45
La T2 est longue. Je me rechange entièrement et part courottant plein de douleur. Rapidement je marche et au bénévole du km 3 qui me demande si on se revoit. je répond que tant qu'ils me laisseront passer on se reverra. Je sens que c'est mort mais je ne pourrais récupérer assez de lucidité pour faire les calculs que au km8. Alors la réalité se dessine. Il faut courrir, l'insupportable épée de Damocles de l'heure limite restera suspendue au dessus de la tête de Planplan jusqu'à la dernière ligne droite du bord de la Durance...5 heures plus tard. Tout est bon pour gratter. en montée, tu marches Vite, si ça descend tu cours. Quand t'es cassé, tu marches et tu absorbes un gel LD mais pas avant d'être en vue d'un ravito pour pouvoir boire, saler une tomate et jeter le tube. Tu prends tous les arrosages, tu mixes l'iso et la St Yorre. Ça va être tendu. Une femme me montre comment courir hyper lentement, on discute on s'encourage on se rassure, Tictac tic-tac. Plus le temps passe plus nos mines défaites font passer les spectateurs d'un respect interrogatif à un enthousiasme joyeux puis à des acclamations débridées. Une femme tient à ce que son chien m'encourage en courant avec moi. Plus personne n'est lucide. De temps en temps un coureur s'explose par terre. Il ne sent plus la douleur et repart plus vite après une minute sonné. Dans le dernier tour, c'est abusé certain(e)s courrent avec un groupe de spotters qui les alimentent , les guident, les cadencent pour finir, les encouragent, les éclairent car la nuit est noire au point que sans frontale tu ne peux pas continuer. Les acclamations nocturnes, les sonorisations chorégraphiées foutent les larmes aux yeux. Puis ça se finit. Il reste 1500 mètres et largement le temps alors on se congratule entre compagnons de galère, on se promet que c'est la dernière fois. On s'approche de cette arche couronnée par l'horloge honnie à laquelle il reste 10 minutes sur 17heures et quelques. Ça passe ! Par chance ça va au bout, comatant dans ma chaise de jardin au milieu des 5 vélos qui restent dans le Parc, je lis vos messages... J'attends avec impatience ma dépression post IM pour parachever l'expérience. ouf.
_________________ UltraPlanplan
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