Un article sur un monde étrange et fascinant...
Spéciale dédicace aux Furies, qui sont finalement assez sages, je trouve...
Entre elles, les filles se libèrent et s'éclatent
LE MONDE | 10.05.06
Entre elles, les filles se lâchent. Elles se disent tout, parlent de tout (la vie, les enfants, le monde, les amours, le sexe, les hommes...) sans la peur d'être jugées. Un espace de liberté en somme, qu'elles jugent irremplaçable, incomparable, quasi vital. A évoquer avec elles les dîners entre copines, on finit par entendre, à un moment ou à un autre : "C'est magique." A deux ou trois, à dix ou à vingt, elles organisent régulièrement ces réunions féminines pour parler pendant des heures. Mariée, célibataire, qu'importe. On se retrouve pour partager et rire. "Il y a, hors du regard des conjoints et des hommes, des jeux de rôle qui se modifient. La séduction n'est pas la même. On ne s'interdit rien, ni plaisanterie idiote sur les mecs ni histoires intimes. C'est léger, on rit beaucoup", raconte Laurence, 44 ans, en couple depuis plus de vingt ans, adepte depuis toujours des dîners entre copines. "C'est très spécifique, ces dîners entre copines, qui peuvent rassembler sans problème toutes sortes de catégories sociales, professionnelles et générationnelles, parce que, simplement, il y a un point commun, celui d'être une fille."
Ces petites soirées entre amies ont toujours existé, mais elles semblent aujourd'hui se développer, et la formule se diversifie. Encouragés par toutes sortes d'entreprises, qui voient là un filon à exploiter, ces rassemblements s'enrichissent de petits bonus. C'est ainsi que Sophie Kune, une "relookeuse" de 32 ans, a eu l'idée d'organiser des Ateliers copines. Lors d'une soirée chez vous ou chez une de vos amies, elle vient avec sa mallette bourrée de produits de maquillage pour donner conseils de beauté et bons plans.
SE FAIRE DORLOTER ET CONVERSER
Coiffeurs, masseurs, maquilleurs se déplacent eux aussi, en tout bien tout honneur, dans les soirées filles pour apporter à celles-ci la note de bien-être qui manque à leur quotidien. La formule est simple. Une copine en invite d'autres chez elle, aménage une des pièces de son appartement en espace réservé aux soins. Et c'est parti : les unes se font dorloter, les autres papotent. Cette formule a le mérite de détendre le corps et l'esprit. "Chez soi, entourée de ses amies, on se sent plus à l'aise que dans un institut. Et puis, après le massage, on se sent bien et on n'a pas envie de se retrouver dans la rue ou dans le métro. Le côté cocon se prolonge", précise Géraldine, 39 ans, femme active, mère de famille et adepte de ces soirées qui lui permettent d'allier dîner, bavardage et bien-être. "Tour à tour sortir, prendre soin de moi, voir mes amies, je n'en ai pas le temps. Là, c'est le tout-en-un, et cela me fait un bien fou."
S-Kart, dans le quartier de la porte de la Chapelle à Paris, organise des soirées copines de karting. A la clé, promet la société, "des sensations fortes, des frissons, des montées d'adrénaline" à partager entre filles. Sous-entendu : l'esprit masculin de compétition en moins et du rire en plus. Certains bars, restaurants et boîtes de nuit y vont aussi de leur petit programme.
Au restaurant L'Etoile, chaque mardi, une formule "Déjeuner de copines" a été mise en place pour que les filles "se sentent chouchoutées", aime à dire le propriétaire des lieux, Tony Gomez. La recette : prix stables, service gratuit de voiturier, petit cadeau à la sortie. Chez Régine, tous les mercredis, les soirées "Ladies Night" sont interdites aux hommes jusqu'à 23 heures. Avant, les femmes profitent du charme des Chippendales. Au Pink Paradise, le club propose, lors de ses soirées "Girls & the City", des initiations à la pole dance des strip-teaseuses, très en vogue aux Etats-Unis. Talons aiguilles, tenue très légère, dos cambré, on apprend à glisser en se déhanchant autour d'une barre. Entre filles, l'inhibition disparaît.
Véronique Bollet, qui a toujours privilégié les "plans copines", organise désormais des voyages entre filles, qui facilitent les rencontres avec d'autres femmes du monde. Créée en avril 2005, avec seulement quatre ou cinq programmes, son agence, Femmes du monde, propose désormais onze destinations et a conquis trois cents clientes.
Depuis le 3 mai, la chaîne Paris Première diffuse tous les mercredis à 22 h 40 une série réalité "Ladies Night : elles ne parlent que de ça". Cinq copines au profil stéréotypé - la séductrice, la branchée, la fleur bleue, la bourge... - parlent de leurs propres histoires (déceptions, expériences...) à partir de thèmes imposés. En gros : le sexe et les garçons, "parce que, aujourd'hui, les relations amoureuses et sensuelles ont pris de l'importance chez les femmes. Et elles n'ont plus peur de l'exprimer, remarque Jacques Expert, directeur des programmes de la chaîne cablée. Des séries comme "Sex in the City" ont ouvert la voie, nous ne faisons que la prolonger, entre fiction et réalité".
Longtemps dépendantes de l'argent des hommes et de leur regard, les femmes ont appris à s'affranchir du premier. Et s'octroient de plus en plus le loisir de s'émanciper du second. "Juste pour être bien", disent-elles.
Véronique Cauhapé
Article paru dans l'édition du 11.05.06